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Placements : face au coronavirus, que faire ?

Jean-Denis Errard / Journaliste 

Panique à bord, la Bourse s’effondre ! Et comme les livrets d’épargne et l’assurance-vie ne rapportent plus rien, que l’immobilier est hors de prix, comment placer son argent en espérant qu’il rapporte un peu ? La solution, plus que jamais : bien analyser ses impératifs, penser long terme et ne pas mettre tous ses oeufs dans le même panier… Crises et après-crises sont aussi la source d’opportunités.

Finalement, la crise est venue d’où on ne l’attendait pas : un maudit virus ! Et chacun de se reposer la question en ces temps agités : que faire de mon argent ? Pas simple. On le sait, placer sans accepter aucun risque, c’est perdre à coup sûr. Du moins en pouvoir d’achat puisque les livrets d’épargne et l’assurance-vie garantie nette de prélèvements sociaux vont, cette année encore, rapporter moins que l’inflation. Mais placer en prenant des risques, c’est perdre aussi avec, en prime, des sueurs froides : on le voit avec cette panique des marchés financiers depuis le début du mois.

Quant à investir aujourd’hui dans l’immobilier sous prétexte que le crédit n’est pas cher, aux niveaux de prix actuels et sans l’absolue certitude de maintenir son niveau de revenus pendant les vingt à vingt-cinq ans d’emprunt, l’option n’est pas non plus sans risque. Redoutable équation alors qu’il n’a jamais été aussi nécessaire de mettre de l’argent de côté, à la fois pour se protéger contre une précarité professionnelle croissante et contre l’inévitable érosion des pensions de retraite. Faut-il pour autant rester les bras croisés ?

 

En vérité, le piège, c’est de penser ses placements avec le même stress que celui qu’impose l’actualité quotidienne. La Bourse de Paris qui, l’an dernier, a enrichi ses investisseurs de plus de 30%, pourrait leur en faire perdre autant ou plus cette année. Le 12 mars, l’indice CAC 40 reculait de l’équivalent de près d’un quart de siècle de Livret A en une seule journée ! Angoissant, certes. Sauf si vous raisonnez à dix ans, en évitant de mettre tous vos « oeufs dans le même panier » et en tenant compte de vos impératifs personnels.

 

Placer à court terme de l’argent, par exemple sur une assurance-vie dite garantie, alors qu’on n’a pas besoin de cet argent au quotidien, est un non-sens, tout autant qu’acheter des actions en Bourse dans une optique de moins de dix ans ou encore que se lancer dans une opération de défiscalisation immobilière type « Pinel » en se focalisant sur le seul avantage en impôts.

 

 

APPAUVRISSEMENT DE L’ÉPARGNANT

Tout le monde sait que les taux de crédit immobilier sont très bas. Etrangement, rares sont ceux qui réalisent que le revers de cette médaille c’est qu’il en est de même pour les produits d’épargne. Comme le résume l’expert Brice Pineau, président de Harvest (éditeur de logiciels spécialisé sur les métiers du conseil en gestion de patrimoine), « ce que la main du crédit vous donne d’un côté, celle de l’épargne se charge insidieusement de le reprendre de l’autre ». Résultat, 80% des 4 321 milliards d’euros que les Français ont mis de côté ne leur rapportent rien.

Tenez-vous bien : 78% des 142,3 milliards d’euros de flux d’épargne depuis un an (du troisième trimestre 2018 au troisième de 2019) ont été placés à quasi zéro rendement, dont 37% de cette masse en dépôts à vue (avecun record de 604 milliards sur les comptes chèques) ! « L’appauvrissement de l’épargnant, déjà en marche, va s’accélérer », prévient Brice Pineau. Et pour cause : la Banque centrale européenne (BCE) espère, en maintenant des taux de crédits très bas, pousser les capitaux vers l’économie et la crise actuelle va sans doute accentuer encore cette tendance.

« Les taux bas creusent les inégalités », ajoute Thomas Friedberger, directeur général de la société de gestion Tikehau IM. L’épargne populaire est laminée, alors que l’épargnant bien conseillé profite de ces taux de crédit très bas pour faire jouer des effets de levier sur des actifs à risque mais performants à long terme. Une étude réalisée par l’économiste Nicolas Bouzou pour la banque privée Neuflize OBC (groupe ABN Amro) révèle que pour les années post-crise 2008-2016, la fortune des détenteurs de plus de 1 million d’euros (hors résidence principale) a augmenté de 69%, alors que le patrimoine de l’épargnant lambda a fondu de 6% nets d’inflation. Une « inégalité croissante », pointe l’expert, ce qui s’explique sans doute par le fait que les uns se font accompagner par un conseiller et pas les autres.

 

 

INÉGALITÉS CROISSANTES

C’est tout à fait perceptible dans la façon dont les Français gèrent leur assurance-vie, le produit d’épargne vedette. En moyenne, sur l’ensemble des 1 800 milliards d’euros que représentent ces contrats, 80% sont placés sur ce qu’on appelle les « fonds en euros », dont le rendement est garanti, mais qui ne protège plus de l’inflation. C’est très différent pour ceux qui profitent de l’expertise d’un conseil en gestion de patrimoine (CGP). Selon une récente étude réalisée par le cabinet Deloitte sur la base du fichier de l’éditeur de logiciels professionnels Harvest, les fonds en euros ne représentent que 52% de l’encours pour la clientèle des CGP.

Le poids des « unités de compte » (c’est-à-dire de l’épargne exprimée en parts de fonds d’investissement) atteint 37%, le solde se trouvant diversifié sur d’autres supports comme par exemple le private equity (fonds d’investissement dans des entreprises non cotées en Bourse). Conséquence, sur ces dix dernières années, l’épargnant qui a misé 100% sur le fonds garanti d’une bonne assurance-vie, par exemple l’Afer, a vu son épargne progresser de 2,9% par an (en taux actuariel), tandis que celui qui aurait préféré le fonds Actions Monde ou Actions Europe du même assureur aurait vu son avoir grossir de 8% par an.

 

 

LA PEUR EST MAUVAISE CONSEILLÈRE

Il faut avoir en tête que pour doubler son capital avec un Livret A au taux actuel de 0,5%, il faut 140 ans. Mais dix fois moins (14 ans) quand on passe à 5%. La prise de risque avec un horizon de long terme est donc la seule solution pour protéger un capital. Pour autant, la martingale n’existe pas et nombreux sont aujourd’hui les escrocs qui tirent parti des taux bas actuels pour suggérer, via des sollicitations par Internet, de prétendues nouvelles solutions qui seraient plus rentables. Brice Pineau le souligne : « Une meilleure compréhension de l’économie et ainsi des ressorts de l’épargne désacralisera un univers qui peut paraître obscur, effrayant. La peur est mauvaise conseillère. »

L’épargnant français fuit l’investissement dans les entreprises alors que c’est là que se créent les richesses. La Bourse rebute à cause de ses brusques hauts et bas, comme on l’a vu l’année dernière à la hausse (+30,45% pour l’indice CAC 40 dividendes inclus) et ces dernières semaines à la baisse. Ce qui se comprend pour qui peut avoir besoin de son argent du jour au lendemain. Mais prenons du recul : en dépit des deux mauvaises années 2011 et 2018, la performance annualisée de la Bourse de Paris a été de 8% sur dix ans (sur la base de l’indice CAC 40 dividendes inclus). 8% par an ! Sur vingt ans, malgré cinq mauvaises années (dont les trois « annus horribilis » de 2001, 2002 et 2008), le gain est de 3,3% par an. La crise actuelle provoquée par les incertitudes sur les conséquences de l’épidémie virale est sévère, mais qu’en restera-t-il dans dix ans ?

Les grandes entreprises cotées auront comme d’habitude traversé cette angoisse passagère. Allons plus loin en faisant la comparaison sur trente ans. Imaginons ce match : d’un côté, 30 épargnants qui ont investi successivement au 1er janvier de chacune des trente dernières années sur une assurance-vie à rendement garanti (Afer par exemple) et, de l’autre côté, 30 qui ont investi en Bourse sur la base de l’indice CAC 40, dividendes inclus. Qui gagne ? Sur ces trente années, l’équipe « CAC » bat 28 fois celle des épargnants « Afer ». Et sur deux années, ils font jeu égal. CQFD !

 

 

LA VOGUE DU PRIVATE EQUITY

Certains ont cru voir une martingale dans les offres qu’on appelle techniquement des « structurés ». L’année dernière, beaucoup d’établissements financiers et d’assureurs ont fait miroiter à leur clientèle de beaux pourcentages de performance. Mais ces épargnants ont-ils réalisé que cette mécanique complexe consiste à promettre une rentabilité « à condition » que l’indice boursier pris en référence ne baisse pas en dessous d’un niveau prédéterminé ? Ce placement pourrait réserver de fortes moins-values si la Bourse cède encore un peu plus à la panique.

Autre option de placement, de plus en plus en vogue dans les banques privées pour les fortunes d’un certain niveau, le private equity, autrement dit l’investissement dans des entreprises non cotées en Bourse, donc déconnectées du stress momentané des marchés financiers. De nombreuses sociétés de gestion proposent des fonds permettant de mutualiser le risque, en investissant dans 12 à 15 PME. À condition d’accepter de bloquer son capital en général pendant sept à dix ans, avec des « tickets » souvent supérieurs à 100 000 euros la part, l’investisseur peut espérer 7 à 12% de rentabilité nette. Des assurances-vie commencent à proposer ce type de diversification à leur clientèle haut de gamme.

 

 

L’IMMOBILIER EN VEDETTE

Mais cette année, comme l’an passé, la grande vedette des placements, c’est l’immobilier. Véronique Donnadieu, déléguée générale de l’Association française des sociétés de placement immobilier (ASPIM), le confirme : « L’année 2019 a été particulièrement dynamique. Le niveau de revenus distribués par les SCPI (sociétés civiles de placement immobilier) leur permet de dégager une prime de risque en hausse de 480 points de base au-dessus des emprunts d’Etat à dix ans. » Le rendement moyen s’est élevé à 4,28% avec en outre +1,43% de taux de revalorisation du prix de la part, ceci pour les SCPI majoritairement investies en bureaux. En ce qui concerne les SCPI diversifiées, le rendement demeure élevé : 5,03% et une valorisation moyenne de +1,01% du prix de la part.

Les chiffres de collecte nette d’épargne sont explosifs : 8,606 milliards d’euros après 5,103 milliards pour l’année 2018, soit un bond de +68,6%. En haut du panier des performances, on trouve toujours les mêmes : Corum XL (6,26%) et Corum Origin (6,25%) gérés par Corum AM (qui vient de lancer sa propre compagnie d’assurance-vie pour permettre de défiscaliser les revenus fonciers), Epargne Pierre (5,85%), Immo Placement (5,52%) et Foncière Remusat (5,31%) du groupe Atland Voisin, Vendôme Régions (6,10%) proposée par Norma Capital, PrimoPierre (5,92%) de Primonial REIM, mais aussi les jeunes Néo (de Novaxia, 6,47%), Altixia Commerces et Altixia Cadence XII (6,28% et 6,12%, de la société Altixia), Coeur de Régions et Coeur de Ville (6,25% et 5,30% de Sogenial Immobilier).

 

 

BOOM DES OPCI

Il existe aussi des OPCI (organismes de placement collectif en immobilier), essentiellement distribués par le biais des assurances-vie. Rappelons que ce type de fonds a pour particularité de comporter de l’immobilier physique (à 60% environ) et des valeurs foncières cotées, ce qui permet d’améliorer leur liquidité (facilité de revente) mais attention, avec une certaine volatilité. Par exemple, DiversiPierre, de BNP Paribas, le meilleur OPCI du marché, qui détient pour 2 milliards d’euros d’actifs, a bondi de 8,87% l’année dernière, après 1,17% en 2018 (du fait d’un mauvais contexte boursier). Ce fonds réalise tout de même 5,7% annualisé sur cinq ans, largement mieux que la plupart des SCPI.

Autre excellent fonds, celui de SwissLife, Dynapierre (5,5% annualisé sur cinq ans) que proposent 16 contrats d’assurance-vie. Opcimmo, le poids lourd de plus de 8,5 milliards d’euros, géré par Amundi (Crédit Agricole), affiche 4,17% pour 2019 après 0,73% en 2018, soit un modeste 3,15% sur cinq ans, mais c’est mieux que le piteux 0,85% de son assurance-vie garantie Prédissime 9. Globalement, la performance de tous les OPCI a été de 5,4% l’année dernière. Axa REIM, Sofidy, Groupama REIM… proposent aussi ce type de solution pour les assurances-vie.

 

 

LA PIERRE-PAPIER POUR LES PLUS AISÉS

En banque privée ou auprès des conseils en gestion de patrimoine, l’offre immobilière s’est aussi fortement développée pour la clientèle dite qualifiée (aisée et avertie) avec des OPPCI (organisme professionnel de placement collectif en immobilier) et des FPCI (fonds professionnels de capital-investissement) qui jouent souvent sur un endettement à bas coûts pour amplifier les plus-values. Ou également des « club deals » (des opérations en cercle restreint avec des investisseurs pouvant mettre sur la table au moins 1 million d’euros).

Des spécialistes comme MNK Partners, Apicap, Keys REIM, ExtendAM ont lancé d’intéressants fonds d’investissement. Des solutions dites alternatives apparaissent aussi, comme les GFI (groupements forestiers d’investissement), avec France Valley, la première société à se lancer. Une SCPI viticole (LF Les Grands Palais), que propose La Française REM, côtoie désormais les GFV (groupements fonciers viticoles) que lancent régulièrement les deux spécialistes, Saint-Vincent et Bacchus Conseil.

Face à ce nouveau paradigme pour l’épargne, on ne peut trouver meilleure conclusion que celle de Meyer Azogui, président d’un important cabinet de gestion de patrimoine : « Il fut un temps où le négligent ou le dilettante gagnaient facilement, alors qu’aujourd’hui une certaine prise de risque et le renoncement à la disponibilité d’une part de ses capitaux sont nécessaires pour aller chercher de la performance. » Ajoutons que le stress est en général mauvais conseiller…